Dans un de nos articles précédents, nous avons traité des principes généraux applicables en responsabilité civile. Nous avons vu que, règle générale, la responsabilité d’une personne peut être retenue en présence de trois éléments : une faute, un dommage et un lien de causalité. Cette logique cartésienne est à la base de notre droit privé et elle est destinée à s’appliquer tant en matière contractuelle qu’extracontractuelle. Dans le présent article, nous verrons certains cas d’exceptions où une personne peut être responsable sans faute alors qu’une autre peut être excusée malgré sa faute.
La responsabilité sans faute
Notre droit prévoit certains régimes particuliers où une personne peut être tenue de réparer le tort causé à autrui, même en ayant fait preuve de diligence. La personne lésée n’aura pas alors à démontrer qu’une faute a été commise.
En matière contractuelle, certains types de contrats peuvent obliger une personne à en indemniser une autre malgré elle. De façon générale, certaines obligations contractuelles sont dites « de résultat », par opposition à des obligations « de moyens ». Dans le cas d’une obligation de résultat, l’autre partie n’a qu’à prouver que le résultat n’est pas atteint pour engager la responsabilité de son cocontractant, lequel devra démontrer la force majeure pour s’exonérer. Si l’obligation en est une de moyens, alors il faudra se demander si la personne a pris les moyens raisonnables dans les circonstances pour respecter son obligation. Ce n’est qu’en cas de manquement que sa responsabilité sera retenue.
Par exemple, le transporteur doit mener le passager, sain et sauf, à destination. La victime n’a qu’à prouver que ce résultat n’a pas été atteint pour être indemnisée. En effet, elle n’a pas à faire une preuve particulière qu’un transporteur normalement prudent et diligent aurait évité l’accident. D’un autre côté, l’avocat n’a généralement qu’une obligation de moyens; le simple fait qu’il « perde sa cause » ne le rend pas responsable en soi. Il faudra plutôt démontrer qu’un avocat diligent aurait agi différemment et que cela aurait changé l’issue du procès.
Certains contrats créent aussi des obligations réciproques et corrélatives, qui feront en sorte qu’une personne sera responsable, malgré qu’elle soit sans reproche. Prenons deux contrats fréquents en pratique : la vente et le louage. Dans le contrat de vente, le vendeur transfère la propriété d’un bien et l’acheteur en paie le prix convenu. Tel bien, tel prix. Si le bien est affecté d’un vice caché que le vendeur même ne pouvait soupçonner, cela rompt l’équilibre du contrat et l’acheteur aura droit à une réduction de prix.
Dans le cas du louage, le locateur doit procurer la jouissance d’un bien et le locataire doit payer le prix de cette jouissance. Encore une fois, telle jouissance, tel prix. Si le locataire est dérangé dans sa jouissance, quand bien même le locateur ne peut rien y faire, il devra accorder une diminution de loyer. Par exemple, le locataire embêté par des travaux de réfection de la rue interminables aura droit à une réduction de loyer. On voit donc que le vendeur et le locateur peuvent tous deux être responsables sans qu’ils n’aient commis aucune faute.
Les présomptions de responsabilité
En matière extracontractuelle, le Code civil du Québec crée certaines présomptions de responsabilité, qui ont pour effet de dispenser « la victime » de démontrer qu’une faute a été commise.
D’abord, on peut être responsable par la faute d’autrui. Ainsi, les parents sont présumés responsables des faits et gestes commis par leurs enfants qui causent préjudice à autrui. Pour s’exonérer, ils devront eux-mêmes faire la preuve qu’ils n’ont commis aucune faute « dans la garde, la surveillance ou l’éducation » de leurs enfants.
Il est aussi un principe bien établi dans notre droit que celui qui agit par l’entremise d’autrui agit par lui-même. C’est pour cette raison que l’employeur sera responsable des fautes commises par ses employés, sans aucun moyen d’exonération. De même, l’entrepreneur qui fait appel à des sous-traitants pour faire exécuter un travail sera responsable des fautes commises par ceux-ci.
Ensuite, on peut être responsable de par sa qualité de gardien ou de propriétaire d’un bien ou d’un animal. Ici encore, notre droit prévoit des présomptions de responsabilité à cet égard.
Les limitations et exonérations de responsabilité
D’un autre côté, notre droit permet parfois à certaines personnes qui ont commis une faute de s’en laver les mains.
La loi prévoit des immunités en faveur de certaines personnes. Il est fréquent que les préposés de l’État, dans l’exécution de leurs fonctions, bénéficient d’une immunité dite relative, c’est-à-dire qu’ils ne pourront engager leur responsabilité – ni, par extension, celle de l’État –, à moins de démontrer qu’ils ont commis une faute intentionnelle ou lourde ou qu’ils ont agi de mauvaise foi. Les juges bénéficient, de leur côté, d’une immunité absolue.
La loi excuse également certaines personnes dans des contextes bien précis. Par exemple, le « bon samaritain », celui qui porte secours à autrui dans un but désintéressé, sera exonéré de sa responsabilité, sauf en cas de faute intentionnelle ou de faute lourde.
On excuse aussi presque toujours les gens en cas de force majeure : devant l’impossible, nul n’est tenu. La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible. Il s’agit de quelque chose d’exceptionnel. Au Québec, une simple tempête de neige, même qualifiée de majeure ou marquante, ne saurait être qualifiée de force majeure, parce que c’est quelque chose qu’il faut prévoir. La crise du verglas de 1998 et le déluge du Saguenay de 1996 sont des exemples d’événements historiques qui peuvent être qualifiés de forces majeures. Parfois, en matière contractuelle, une personne est tenue même au-delà de la force majeure, quand son obligation en est une de garantie. Par exemple, le locateur doit garantir que le bien puisse servir à l’usage pour lequel il est loué et la force majeure ne sera pas suffisante pour l’exonérer de son obligation.
Dans un autre ordre d’idée, il est fréquent dans un contrat qu’une partie insère une clause de limitation ou d’exonération de responsabilité. Ces clauses sont en principe valides, mais elles peuvent parfois être écartées en certaines circonstances. Si le contrat en est un « d’adhésion », c’est-à-dire qu’il est imposé par une partie et qu’il n’est pas négociable, la clause d’exonération doit avoir été connue de l’autre partie lors de la formation du contrat. Par contre, celle-ci pourrait être écartée si elle est jugée abusive. Si la clause d’exonération de responsabilité a pour effet de permettre à une personne de s’exonérer d’une obligation essentielle au contrat, la clause sera aussi sans effet.
Par exemple, le locateur doit procurer la jouissance d’un bien. S’il ne procure aucune jouissance (ex. : le bien est détruit), alors le locateur ne pourra pas se réfugier derrière une clause d’exonération de responsabilité; autrement, ce serait équivalent à de la fraude, on pourrait exiger un loyer et ne rien donner en retour!
Enfin, une telle clause sera aussi sans effet en cas de faute intentionnelle ou lourde ou encore en cas de dommages corporels.
En cas de doute, mieux vaut consulter
Ce qui précède illustre plusieurs particularités de notre droit, qui fait en sorte qu’il est difficile de s’y retrouver. Ne présumez donc pas que vous avez raison ou tort dans telle ou telle situation. Avant que votre situation ne s’aggrave, consultez votre conseiller juridique à la première occasion afin de connaître vos droits et obligations.